Rapport de la commission d’experts chargés de l’évaluation de l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans

Publiée le : 30/04/2024

Remise à l’Élysée du rapport de la commission d’experts sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans

Remise à l’Élysée du rapport de la commission d'experts sur l'impact de l'exposition des jeunes aux écrans

Les dix experts mandatés par le président de la République en janvier 2024 pour évaluer l’impact des écrans sur les jeunes ont rendu leur rapport mardi 30 avril.

Ce document d’environ 140 pages, intitulé « Enfants et écrans – A la recherche du temps perdu », dresse les conclusions de trois mois d’auditions d’experts et de praticiens, de cent cinquante jeunes et de consultation de la littérature scientifique sur cette problématique qui inquiète parents et professionnels de santé.

Comme l’indique le préambule du rapport « la Commission a acquis la conviction qu’elle devait assumer un discours de vérité pour décrire la réalité de l’hyper connexion subie des enfants et des conséquences pour leur santé, leur développement, leur avenir, pour notre avenir aussi… »

La commission alerte ainsi dans son rapport sur « les effets négatifs, directs et indirects, des écrans », notamment sur le sommeil, la sédentarité ou encore la myopie. Les dix experts présentent les réseaux sociaux comme « facteurs de risque » de dépression ou d’anxiété en cas de « vulnérabilité préexistante » et jugent « alarmant » le niveau d’exposition des enfants à des contenus pornographiques et violents. Ils indiquent aussi que les écrans « ne sont pas à l’origine de troubles du neurodéveloppement » et que les études sur les conséquences des écrans sur ce neurodéveloppement des enfants et des adolescents nécessitent encore d’être approfondies. La commission appelle cependant à la « vigilance » pour « éviter l’amplification de symptômes ».

Articulé autour de six axes de concrétisation des ambitions de lutte contre les effets des écrans sur les jeunes, le rapport cible des pratiques spécifiques. Il propose ainsi de « s’attaquer avec force aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques, pour les interdire et rendre aux enfants et aux adolescents leur liberté ». Sont ainsi visés, les « services prédateurs » qui recourent à différents moyens pour retenir les utilisateurs le plus longtemps possible : lancement automatique de vidéos, notifications, récompenses…

Les jeux en ligne et le développement des micro-transactions constituent une autre source de préoccupations pour les experts de la commission : ils appellent à réguler et plafonner la dépense pour un jeu donné. La commission envisage la possibilité « d’exiger des acteurs économiques qu’ils démontrent, avant la mise sur le marché, l’absence d’effet nocif et une balance bénéfice-risque favorable », avec la réalisation d’audits indépendants réguliers.

Les experts recommandent aussi de favoriser l’émergence d’innovations « au service de modèles éthiques » ou encore la création d’un « droit au paramétrage » sous la forme d’un cahier des charges concret : « ouverture systématique sur l’interface de paramétrage avant toute première navigation », « explicitation accessible aux enfants du fonctionnement des algorithmes » ou encore « paramétrage par défaut » plus protecteur des mineurs.

Afin de prévenir les risques liés aux usages des écrans, le rapport préconise également des recommandations à l’attention des parents et des professionnels de la petite enfance. Le rapport cite les assistantes maternelles, les personnels en crèche et les nourrices et souligne l’importance des « moments clés de la relation » que sont les repas, les soins ou les jeux. Il invite à empêcher tout usage des écrans par des enfants de moins de trois ans. La neurologue Servane Mouton, membre des experts de la commission rappelle que « l’écran n’est pas nécessaire au bon développement de l’enfant ». « L’enfant a besoin d’interactions, d’être à l’extérieur, de jouer avec ses pairs, de chanter, danser, courir… Il ne faut pas que l’écran écrase ces besoins-là ». Un accès « fortement limité » entre trois et six ans est ensuite recommandé, « avec des contenus de qualité éducative, et accompagné par un adulte ». La commission préconise l’interdiction des téléphones portables jusqu’à 11 ans et un accès à un téléphone sans Internet jusqu’à 13 ans. À partir de cet âge, elle propose de donner un smartphone sans accès aux réseaux sociaux, puis d’ouvrir cet accès à partir de 15 ans, uniquement sur des réseaux « éthiques ».

L’usage des écrans dans le cadre scolaire est également abordé puisque la commission propose d’« engager un état des lieux précis de la place du numérique dans la stratégie pédagogique et éducative actuelle » et de réaliser des « études d’impact systématiques » de chaque ressource numérique avant de la généraliser.

A la suite de la publication de ces conclusions, M. Macron annonce, vouloir prendre « de premières décisions dans les prochaines semaines » : « J’ai demandé au Premier ministre d’engager une large concertation et qui permettra d’ouvrir une série de débats et je prendrai de premières décisions dans les prochaines semaines sur les écrans, à la suite du rapport que m’a remis cette semaine la commission d’experts qui a réfléchi à ces questions », indique ainsi le chef de l’État. Il avait déjà indiqué « donner un mois au gouvernement pour examiner ses recommandations et les traduire en actions » à la réception du rapport mercredi 1er mai.

 

Retrouvez ci-dessous le préambule du rapport :

« La technologie a la capacité d’émanciper les enfants, de les libérer, parce qu’elle leur permet d’accéder plus librement et plus facilement à la connaissance. On peut aussi espérer qu’elle soit facteur d’égalité sociale réelle, parce qu’elle donne accès à la même connaissance quel que soit l’environnement de l’enfant qui se connecte, quel que soit le prix de l’appareil qu’il utilise. Pour la première fois, sur un sujet donné, un enfant peut en savoir plus que son parent, que son professeur, ou que son ministre.

Mais, comme tout ce qui est façonné par l’homme, la technologie a aussi la faculté d’être utilisée pour enfermer, aliéner, soumettre les enfants.

Après trois mois de travaux, la Commission a acquis la conviction qu’elle devait assumer un discours de vérité pour décrire la réalité de l’hyper connexion subie des enfants et des conséquences pour leur santé, leur développement, leur avenir, pour notre avenir aussi… Celui de notre société, celui de notre civilisation, et peut-être même celui de notre humanité.

La Commission a été bousculée par les constats qu’elle a eus à faire sur les stratégies de captation de l’attention des enfants, où tous les biais cognitifs sont utilisés pour enfermer les enfants sur leurs écrans, les contrôler, les réengager, les monétiser. Elle a été alarmée par certaines représentations, de la femme par exemple, que le numérique hyper amplifie, et par ce qu’il peut imposer aux jeunes filles dans leur vision d’elles-mêmes ou des comportements « attendus » d’elles.

Préempter ce nouveau marché, dans lequel nos enfants sont devenus la marchandise, est le nouvel axe de développement de quelques sociétés du numérique. Nous voulons leur dire que nous les avons vues et que nous ne pouvons les laisser faire.

Ce peuplement de l’espace numérique par les enfants, cette migration du réel vers le virtuel, se fait trop souvent de manière isolée, sans parent, et sans aucune sécurité. Nous devons leur redonner la main, pour mieux les accompagner, pour mieux les protéger, pour leur redonner leur place.

Nous devons aussi, tout adulte que nous sommes, nous remettre à hauteur de ce temps de l’enfance : nos enfants ne sont pas des « petits adultes », ils ont besoin de jouer, ils ont besoin que les adultes oublient leur portable pour leur donner du temps, ils ont besoin de dialoguer avec les grands et de les retrouver disponibles, à la maison, dans les parcs, pendant leurs activités, dans les villes comme dans les campagnes.

Face à la marchandisation de nos enfants, la Commission propose de reprendre le contrôle des écrans, pour remettre l’enfant au cœur de notre société et lui permettre de grandir et de se réaliser en toute liberté.

Ce qui fait la richesse d’une Nation, c’est sa jeunesse, et la nôtre n’est pas à vendre. »

 


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